Symposium
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En collaboration avec la Faculté des sciences juridiques, économiques et sociales, la Konrad-Adenauer-Stiftung a organisé, le 10 février 2015, un séminaire ayant pour titre « La Citoyenneté en Turquie et au Maroc : Regards Croisés ».
L’objectif de ce séminaire est d’analyser l’interprétation et les expériences de la Turquie et du Maroc en matière de citoyenneté. Il s’agit de croiser les perspectives existants sur ce thème entre ces deux pays qui, bien qu’ayant traversé des expériences historiquement différentes, partagent le même objectif. Ainsi ce séminaire a accueilli aussi bien chercheurs turques et marocains qui travaillent sur le thème de la citoyenneté, dans le but de croiser leurs perspectives à ce sujet.
Dans son allocution d’ouverture, M. Elhabib Eddaqqaq, Doyen de la Faculté des sciences juridiques, économiques et sociales de l’Université Mohamed V Agdal, a salué les activités organisées conjointement avec la KAS autour du thème de la citoyenneté, soulignant le besoin d’adopter une aujourd’hui une approche inclusive à ce thème. Dans le même sillage, M. Helmut Reifeld, Représentant résident de la KAS, s’est félicité de l’esprit de ce séminaire tout en soulignant que le besoin de comparer l’expérience de différents pays en matière de citoyenneté revêt plusieurs intérêts.
La première partie du séminaire a été consacrée au débat sur l’expérience Turque en matière de citoyenneté. M. Colin Dürkop, Représentant de la KAS en Turquie, a analysé les relations historiques et stratégiques qui existent entre l’Union Européenne (UE) et la Turquie, inférant que la construction du modèle turque de la citoyenneté est étroitement liée efforts du pays pour rejoindre l’UE. Dürkop a également indiqué que les relations Turco-Européennes restent essentielles, la Turquie étant une puissance économique émergente et un partenaire stratégique incontournable pour l’UE. Il s’est en outre interrogé sur l’impact du nouveau projet constitutionnel turc sur la citoyenneté. En effet, il est pressenti que la nouvelle constitution de la Turquie mettra en exergue plusieurs valeurs tels que la démocratie participative et la décentralisation, et devrait en conséquence, influencer l’interprétation de la citoyenneté dans le pays.
Dans le même sillage, M. Hüseyin Bağci, Professeur en relations Internationale à l’Université Technique du Moyen-Orient à Ankara, a analysé le concept de citoyenneté en Turquie par rapport aux questions identitaires dans le pays. A cet effet, Bağci a déconstruit le concept d’identité, mettant en parallèle les notions d’identité politique et de citoyenneté. Il a souligné que l’identité est un concept élastique et fluctuant à travers les générations. Ainsi, le régime constitutionnel turc ne considère pas l’identité sur des bases ethniques. La constitution turque attribue le statut de minorité uniquement aux populations dont la religion est différente à cette de l’Islam. Le concept de citoyenneté en Turquie réfère ainsi aux personnes liées à la nation et la constitution turque, et ne revêt pas un caractère ethnique.
L’expérience marocaine en termes de citoyenneté fut le sujet de la deuxième partie du séminaire. M. Abdelhay Moudden, Professeur de Sciences Politique à l’Université Mohamed V, s’est attelé à l’analyse de l’expérience du Maroc en matière de libéralisation et de démocratisation. Tout en expliquant que le concept de citoyenneté est contextuel, il a jugé qu’il existe deux dimensions sont importantes pour que la citoyenneté puisse prendre sa forme au Maroc. D’abord, la libéralisation, dans le sens où le régime donne accès aux citoyens à leurs droits fondamentaux. Ensuite, la démocratisation, c'est-à-dire octroyer aux citoyens de participer aux processus de prise de décisions. Selon Moudden, bien que les Marocains aient acquis certains aspects de la citoyenneté après l’indépendance du pays en 1956, ce processus reste incomplet. Ainsi, même si la constitution de 2011 marque des avancées majeures dans la consécration des valeurs de citoyenneté, le citoyen marocain n’est toujours pas capable de participer pleinement aux processus de prise de décision. Le citoyen marocain a donc acquis des droits pertinents aux valeurs de la citoyenneté, mais ces droits restent dans les textes et ne sont pas toujours miroités dans la réalité. Le défi en jeu actuellement est de traduire les droits institués constitutionnellement dans la réalité et que le citoyen marocain puisse être capable de contrebalancer les institutions qui dominent le pouvoir dans la scène politique.
De son côté, Boutaina Bensalem, Professeur de Sciences Politiques à l’Université Internationale de Rabat, a dressé un portrait de la société civile au Maroc tout en mettant en exergue les défis auxquelles elle fait face. Elle a noté que celle-ci connait, depuis les années 1990s, un plein épanouissement, particulièrement avec la fin des années de plomb et l’adoption de réformes libérales. Cependant, elle a noté que la société civile marocaine est tenue de travailler hors d’une certaine sphère définie par l’Etat (intégrité nationale, primauté de l’Islam, régime monarchique). La société civile qui tente d’opérer en dehors de ces limites est marginalisée et non reconnue. Elle a également noté un certain nombre de défis auxquels la société civile fait face, incluant l’existence de mouvances idéologiques opposées, l’appropriation le discours de la société civile par l’état et les difficultés de financement des ONGs. Enfin, en analysant comment les conditions socioéconomiques du pays influent la société civile, Bensalem a souligné que les droits civiques et politiques ne représentent pas la priorité de la majorité des Marocains, qui ont davantage des préoccupations économiques liées à leur vie quotidienne.