Les régressions de l’État de droit par les partenaires de la réforme
Avec effet immédiat, les deux pays ont récemment retiré leur déclaration spéciale au titre de l’article 34 (6) du protocole constitutif de la Cour, qui permettait auparavant aux organisations non gouvernementales (ONG) et aux particuliers de saisir directement la Cour en cas de soupçon de violation des droits de l’homme. Ils suivent ainsi l’exemple du Rwanda et de la Tanzanie, qui avaient déjà retiré leur déclaration respectivement en mars 2016 et en décembre 2019. La déclaration permettait aux organisations de la société civile et aux particuliers de saisir directement la cour. Elle se présentait comme suit: les ONG et les citoyens des pays respectifs pouvaient porter plainte contre les pays dans des domaines sensibles tels que la participation politique, l’inadéquation des décisions judiciaires, le traitement des prisonniers ou la liberté de la presse. Si le panel de 11 juges, actuellement présidé par le juge ivoirien Sylvain Oré, arrive à une conclusion que l’Etat n’a pas rempli ses engagements dans le domaine correspondant, il condamne cet Etat qui a en principe le devoir de suivre et d’appliquer cette décision de justice – même s’il n’y a pas de sanctions en cas de non-application.
La Cour est née d’un protocole à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples établissant une Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, entré en vigueur en 2004. Son mandat est de renforcer et de compléter la Commission des droits de l’homme et des peuples de l’Union africaine (UA), qui supervise la Charte des droits de l’homme. Trente (30) des cinquante-cinq (55) Etats membres de l’UA ont signé le protocole associé. Dix (10) États avaient entre-temps déposé la déclaration spéciale au moment où les États susmentionnés se sont retirés. La décision des gouvernements ivoirien et béninois se justifie par le fait que trop souvent, des ONG ou des particuliers, notamment du camp de l’opposition, se tournent vers la Cour, et la partie étatique est condamnée. Ils ont donc annoncé haut et fort qu’ils retiraient leur déclaration car ils considéraient les arrêts de la Cour comme partiaux et illégaux – afin de mettre fin, disent-ils, à l’ingérence de la Cour dans les affaires intérieures de leurs pays. La bonne nouvelle est que les deux pays resteront membres de la Charte des droits de l’homme et par ricochet de la Cour même. La mauvaise nouvelle est que deux pays qui sont, entre autres, des partenaires de réforme privilégiés du gouvernement allemand et membres de Compact with Africa, initiative de réforme du G20, renforcent les tendances autoritaires et semblent être guidés par un faux sentiment de justice.
Le contexte au Bénin
Le 17 avril, la Cour a ordonné au gouvernement béninois de reporter les élections communales à la suite d’une requête de Sébastien Ajavon, opposant politique au président Talon et actuellement en exil en France. Les juges ont décidé que sa participation politique serait irrémédiablement compromise par son absence forcée. Un porte-parole du gouvernement a justifié le retrait du gouvernement par les « dérapages juridiques » répétés de la cour. La Cour prend ses distances par rapport à son rôle réel, car un processus électoral, en particulier, est une affaire nationale et est régi par la constitution nationale. Aucun acteur régional ou international ne devrait interférer dans ce processus, selon la déclaration de Cotonou. Les élections communales ont eu lieu le 17 mai comme prévu par le gouvernement béninois.
Le contexte en Côte d’Ivoire
Le 22 avril, la Cour a décidé de suspendre le mandat d’arrêt contre l’ancien Premier ministre et ancien Président du Parlement Guillaume Soro, qui est actuellement en exil en France. Dans la foulée, ce dernier a été condamné par contumace le 28 avril lors d’un procès d’une journée, à vingt ans de prison pour détournement de fonds publics. Aussi le gouvernement ivoirien a-t-il annoncé le même jour dans un communiqué qu’il retirait la déclaration spéciale au titre de l’article 34 (6). Cela a été justifié par les « campagnes sérieuses et inacceptables » de la Cour contre l’État ivoirien. Déjà avec sa décision sur la nécessaire réforme de la Commission nationale de la loi électorale, la Cour avait auparavant provoqué le mécontentement du gouvernement ivoirien. L’opposition a fermement condamné le retrait du gouvernement et a souligné, entre autres, l’absence d’un vote parlementaire.