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Par M. Salah Hannachi,
Les mutations géopolitiques, géoéconomiques, énergétiques, écologiques et technologiques latentes et en cours produisent un pivotement stratégique durable de l'Europe vers l'Afrique. Ce pivotement se traduit par l’émergence de trois corridors de connectivité générale multisectorielle et multimodale Afrique-Europe. Un premier Corridor Occidental longe l’Atlantique et relie l’Afrique Atlantique à l’Europe Atlantique. Un deuxième Corridor Central relie l’Afrique Australe, Centrale et Méditerranéenne, le Maghreb Central, à l’Europe Occidentale, Latine, Centrale, Nordique et Scandinave. Un troisième Corridor Oriental relie l’Egypte et l’Afrique de l’Est, de la Mer Rouge, du Nil Blanc à la MédOr et à l’Europe Orientale. Chaque corridor est un espace d’investissement, d’activités à valeur ajoutée commerciale, économique et industrielle, de transport multimodal, de communication, et d’échange énergétique.
De même, la guerre de l’Ukraine a brusquement restructuré le paradigme énergétique mondial et a créé un défi majeur de sécurité énergétique pour l’Europe. Elle accélère ainsi le pivotement de l’Europe vers le Sud et accélère la naissance d’un corridor central énergétique Afrique-Europe. L’impératif sécuritaire se compose avec l’impératif urgent de transition énergétique et de décarbonation et avec les développements technologiques pour faire évoluer le contenu du pivotement vers un mix énergétique à haut contenu d’énergie fossile, d’électricité verte renouvelable mais aussi d’électricité noire fossile. Enfin, de liaisons bilatérales ou trilatérales, les liaisons énergétiques Afrique-Europe pivotent vers des liaisons multilatérales et vers un corridor intercontinental Afrique-Europe créant une offre énergétique multi pays répondant à un besoin énergétique multi pays, africains et européens.
La récente visite en Tunisie de la Première Ministre italienne, de la Présidente de la Commission européenne et du Président de l’Union Européenne et les nombreuses récentes visites de très haut niveau de responsables européens en Tunisie, en Algérie et en Afrique du Nord annoncent ce pivotement. L’annonce de l’accord officiel de la Banque Mondiale, de l’UE, de l’Italie et de la Tunisie pour le financement de Elmed, la liaison électrique Tunisie–Italie, le confirme. Il en est de même de la conférence de presse en décembre 2022, dans laquelle la Première Ministre italienne et le président de la TERNA, la STEG italienne, ont déclaré, en présence de la présidente de la Commission Européenne, que Elmed ouvre à l’Italie la possibilité d’être ‘’le Corridor énergétique de l’Europe et de la Méditerranée’’. La signature par les ministres de l’énergie de l’Italie, de l’Autriche, et de l’Allemagne, d’une lettre en faveur d’un gazoduc Afrique-Europe d’hydrogène vert, Corridor SouthH2, passant par la Tunisie, confirme l’importance, le caractère multi pays, et l’ampleur et la dimension intercontinentale de ce corridor. Il en est de même de l’annonce en mai 2023, à Sharm-Al-Sheikh, par le Président de la BAfD, à l’occasion de l’Assemblée Générale de la Banque, du soutien de celle-ci au TSGP, Trans Sahara Gas Pipeline, le gazoduc transsaharien Lagos(Nigeria)-Alger(Algérie), soutien qui va dans le sens de la naissance d’un corridor énergétique central Afrique-Europe.
Ce contexte et cette dynamique représentent aujourd’hui une occasion majeure pour que la Tunisie mette à jour sa stratégie énergétique. La naissance d’un corridor Afrique-Europe, devient le cadre dans lequel doivent être mis à jour, reconçus et augmentés, quantitativement et qualitativement, les infrastructures énergétiques en place, les projets et les investissements en cours ou envisagés de connectivité énergétique intercontinentale Afrique-Europe.
La stratégie énergétique de la Tunisie ne peut plus être une stratégie de sécurité énergétique uniquement. La stratégie peut aujourd’hui aspirer à être aussi une stratégie de production d’énergie renouvelable, d’électricité verte et noire, d’hydrogène, et de positionnement de la Tunisie comme carrefour, zone de transit et corridor énergétique Afrique-Europe. Le mix énergétique transitant par la Tunisie vers l’Europe ne doit plus être un mix de sécurité énergétique uniquement. Il doit évoluer vers un mix de sécurité énergétique mais aussi et de décarbonation, c’est-à-dire un mix d’énergie fossile, d’électricité noire (fossile), d’électricité verte(renouvelable) et d’hydrogène vert. Il aidera ainsi à répondre aux impératifs pressants aussi bien de la sécurité énergétique qu’aux impératifs non moins pressants de la transition énergétique et de la décarbonation dans la région Eurafricaine et dans le Monde.
Pour la stratégie de positionnement, la Tunisie peut mettre en levier son voisinage proche et ses relations historiques et stratégiques avec l'Italie, sa vocation euro-méditerranéenne ainsi que sa position de pont entre le bassin occidental (MédOc) et le bassin oriental (MédOr) de la Méditerranée.
Elle peut aussi mettre en levier sa connectivité avec le corridor énergétique italien, le réseau de logistique TEN-T européen, et le système de transport maritime Turquie-Italie-Tunisienne, TIT, dont elle est partie prenante. La connectivité avec le TEN-T contribue au Corridor Central une connectivité stratégique avec l’Europe Centrale, Nordique et Scandinave. Le TIT contribue une connectivité avec la MédOc, et avec la Mer Noire. La connectivité de la Tunisie avec le TEN-T européen et avec le TIT complète la profondeur africaine du Corridor Central et donne ainsi une profondeur stratégique au Corridor émergeant Afrique-Europe.
Ainsi de liaisons bilatérales ou trilatérales, Algérie-Tunisie-Italienne, les liaisons énergétiques entre la Tunisie et l’Italie deviennent les composantes d’un corridor intercontinental de connectivité énergétique Afrique-Europe. Du transport du gaz algérien et de l’électricité verte ou noire tunisienne, ce corridor transportera un mix énergétique africain (algérien, nigérian, tunisien, etc.,) de gaz et d’énergie fossile, d’électricité noire fossile, et d’électricité verte renouvelable.
L’objectif de sécurité énergétique, l’objectif de positionnement, le contexte et la dynamique qui les accompagnent, constituent aussi le principe d'orientation et le cadre des négociations futures de la reconduction du contrat du Transmed qui vient à échéance très prochainement, en 2029. De même doivent-ils servir de cadre à la conception et à la capacité de la future liaison électrique Elmed ainsi qu’à la conception des projets et des investissements de liaison en cours ou envisagés.
Les mutations peuvent aider également à accélérer la mise en place de mécanismes de dialogue énergétique africain-africain, comme AFRENER, la fédération d'institutions et d'agences africaines de maîtrise de l'énergie, proposée par l'ANME tunisienne en 2017, soutenue par plusieurs africains et parrainée par la BAfD et le PNUD. Elles aideront à instaurer des mécanismes de dialogue énergétique et écologique eurafricains.
Le corridor énergétique Afrique-Europe lui-même doit être conçu comme une composante d’un corridor Afrique-Europe stratégique de développement mutuellement garanti, paritaire, multimodal et multisectoriel, sécuritaire, économique, social et culturel.