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La citoyenneté est l’apprentissage du vivre ensemble dans une société où les individus sont égaux en droits et en devoirs et ceci nonobstant leurs croyances ; alors que la religion, quelle qu’elle soit, prêche le vivre ensemble dans le cadre d’une foi commune, avec ce que cela sup-pose comme obligations individuelles et sociales qui se définissent par rapport à l’autre. Est-ce à dire que citoyenneté et religion sont antinomiques ?
L’histoire peut, dans une large mesure, le confirmer : L’inquisition et les guerres de religion en Europe occidentale à l’aube de l’époque moderne ainsi que le maintien de la « dhimmitude » (dhimmi : statut de sujet de seconde zone réservé aux juifs et aux chrétiens vivant en terre d’Islam) jusqu’à une époque très récente dans les pays musulmans, montrent qu’à cause de la question religieuse, l’humanité est restée longtemps rétive à l’idée de la citoyenneté telle qu’elle sera annoncée par les révolutions (essentiellement la révolution française).
Pourtant, l’histoire des religions témoigne aussi de la possibilité d’une résolution pacifique de l’équation. Ne lit-on pas dans la Bible ce verset : « Alors il leur dit : rendez à césar ce qui est à césar et à Dieu ce qui est à Dieu » (Matthieu 21 :22) ?
Ne voit-on pas le prophète Mohammed promulguer une charte du vivre ensemble entre tous les habitants à son arrivée à Médine (charte de Médine) qui met l’intérêt de la cité au-dessus de toute considération religieuse, puis décréter, après la prise de la Mecque, la paix et le respect de l’intégrité des
individus, même païens, et de leurs biens ?
Il apparaît, ainsi, que la citoyenneté transcende la religion, tout en empruntant à cette der-nière l’essentiel de ses valeurs : l’amour du prochain, le respect de la liberté de croyance, la conscience de ses devoirs civiques, etc.
Il faut dire que dans les pays arabo-musulmans d’une manière générale, la question du rapport entre religion et citoyenneté n’est traitée que par obligation, dans un cadre juridique. Les différentes constitutions sont, ainsi, acculées à adopter soit des attitudes tranchées (préémi-nence de la chari’a) soit des attitudes mitigées qui éludent, en fait, le problème et conduisent, en fin de compte à une ambiguïté. On ne peut en trouver de meilleur exemple que la consti-tution tunisienne de 2014 qui assigne à l’État le rôle de protecteur de la religion (article 6) tout en affirmant le caractère civil de l’État, celui-ci étant « fondé sur la citoyenneté, la volonté du peuple et la primauté du droit » (article 2). Ne laisse-t-on pas, ainsi, la porte ouverte aux interprétations les plus contradictoires, voire les plus restrictives de la citoyenneté ? En tout cas, certains faits divers survenus récemment le confirment.
En fait, il faut engager un large débat, non plus sur la pertinence des lois, mais sur les choix civilisationnels à adopter : comment résoudre la double filiation, à la fois à la Umma musulmane et à la nation tunisienne ? Quel sens donne-t-on au sacré et à la morale collective dans la cité ? Comment concilier celle-ci avec les libertés individuelles ?