Cet article est le fruit d'une réflexion personnelle de l'auteur qui ne reflète pas nécessairement les opinions de la Konrad-Adenauer-Stiftung.
D’abord six, puis neuf, puis dix, douze….vingt-huit et désormais vingt-sept. Fruit d’une union économique et désormais politique, le périmètre de l’Union européenne n’est pas figé à un périmètre fixe, bien que ses limites naturelles semblent être celles du continent européen géographique. Son élargissement s’est fait en plusieurs étapes, selon des mobiles différents à chaque fois, s’adaptant aux réalités économiques et politiques auxquelles les Etats membres faisaient face.
Quels critères d’adhésion pour quels défis ?
En matière d’élargissement, l’un des derniers virages fondamentaux que l’Union a pris est celui correspondant à la fin de la guerre froide. Au début des années 1990, avec le bloc soviétique qui éclate, c’est une multitude d’Etats qui se retrouvent sans carapace, « nus », face au monde occidental. L’Union Européenne saisit l’opportunité et les Etats membres dégagent lors du sommet de Copenhague de 1993 de nouveaux critères, dont la formulation et leur finalité laissent croire qu’ils ont été rédigés sur-mesure pour ces Etats. Les nouveaux critères se concentrent autour de trois points : exigences politiques, économiques et sociales. Ce processus visant les pays d’Europe centrale et de l’Est qui a démarré en 1993 avec ces accords, n’aboutira qu’en 2004-2007 avec les intégrations finales de la Roumanie ou la Hongrie, la Slovénie, la Slovaquie, par exemple.
Avec ces nouveaux critères et ces nouveaux Etats « cibles », l’objectif de paix visé au sortir de la guerre et à la naissance de l’Union reste en vigueur. En mettant ces pays sous son aile, l’Union et le monde occidental s’assurent une stabilité démocratique et économique et une interdépendance entre pays européens de l’Ouest et de l’Est, réduisant le risque d’escalade entre l’OTAN et des anciennes républiques soviétiques.
Néanmoins, les objectifs économiques relatifs à la mise en commun des ressources et ceux visant à faire de cette union une superpuissance en mesure de faire concurrence à celle américaine et ne pas perdre le fil face à une Chine émergente semble passer au second plan, compte tenu des situations économiques de ces pays que l’on pourrait qualifier au moins de fragiles, jusqu’à affirmer qu’elles étaient, en raison de leur organisation, à refonder en profondeur afin qu’elles puissent tangiblement contribuer à l’économie européenne.
L’exemple de cet élargissement vers l’Est l’illustre : l’élargissement de l’Union européenne aura suivi des critères d’intégration fluctuants selon les enjeux, tantôt de paix, puis économiques et géopolitiques. Regarder de plus près la façon dont l’Union a conditionné l’intégration de certains Etats tiers permet ainsi de mieux comprendre l’histoire du vieux continent et par extension, de mieux analyser les enjeux propres à chaque Etat membre actuel, ses revendications, besoins et les divergences qui traversent l’Union Européenne à 27.
L’urgence ukrainienne source de consensus
Aujourd’hui, les enjeux sont tout autres et ont un caractère d’urgence, plutôt inédit dans l’histoire de l’élargissement de l’UE. En reconnaissant le statut de candidat à l’Ukraine et la Moldavie en juin 2022, le nombre d’Etats officiellement candidats a été porté de 6 à 8. L’Ukraine et la Moldavie rejoignent notamment d’autres pays Balkans dans cette liste : la Serbie, le Monténégro, la
Macédoine du Nord, l’Albanie et la Bosnie-Herzégovine, tous officiellement candidats mais depuis un peu plus de temps. L’adhésion de ces pays Balkans a avancé d’un pas très sérieux en 2022, alors que la Russie envahissait l’Ukraine. Paris et Berlin ont longtemps été en désaccord au sujet d’un quelconque élargissement, la France conditionnant tout élargissement à une refonte des procédures de prise de décision. Pourtant, la situation de fait sur le continent européen, celle dans laquelle il y a un conflit armé qui dure depuis désormais un an conduit à un consensus général quant aux reconnaissances comme candidats de ces pays « tampons » entre l’UE actuelle et la Russie.
A y regarder de plus près, l’Allemagne et la France arrivent à mettre en marche une coopération et une cohérence quant à l’admission de certains de ces Etats pris un par un, compte tenu de la guerre. C’est le cas de la Serbie, à laquelle le tandem franco-allemand a conditionné la poursuite de l’intégration à l’UE à une normalisation de ses relations avec le Kosovo. Comme l’a précisé le président serbe le 23 janvier dernier, cet ultimatum posé serait dû au « nouveau contexte géopolitique né de l'invasion de l'Ukraine par la Russie.» Selon Aleksandar Vucic, président de la Serbie, «Ils mènent une politique qui a pour but de défaire de la Russie, et tout ce qui se met en travers doit être éliminé». Le Kosovo lui-même pourrait faire l’objet d’une adhésion, mais sur le plus long terme. En 2021, le Président Emmanuel Macron se disait favorable à une adhésion du Kosovo. Quand on sait que des Etats membres comme l’Espagne, la Grèce, la Roumanie, la Slovaquie ou encore Chypre ne reconnaissent toujours pas le Kosovo comme un Etat indépendant, on réalise à quel point le chemin sera long pour ce dernier.
A l’instar du Kosovo, la Géorgie qui n’est pas encore officiellement candidate, a présenté sa candidature le 23 mars 2022. Le 23 juin dernier, les chefs d’Etats européens ont conditionné son statut de candidat officiel à des efforts supplémentaires. Le positionnement de plus en plus pro-russe du gouvernement géorgien, alors que sa population semble regarder vers l’Europe de l’ouest risque de complexifier encore plus le processus d’adhésion géorgienne à l’Union Européenne. C’est d’autant plus dommageable, quand on sait le positionnement géographique de cet Etat a connu une invasion de la Russie en 2008.
Ainsi, il est difficile de généraliser les intégrations futures. Elles sont à analyser au cas par cas, selon les situations économiques mais surtout géopolitiques de chacune. Toujours est-il que le conflit en Ukraine pourrait bien jouer un rôle d’accélérateur dans les procédures de candidature.
Ce processus d’adhésion, long et tumultueux, ne doit pas pour autant faire oublier les accords déjà existants entre les Etats membres et les Etats tiers, notamment pour la jeunesse. Ces accords s’apparentent ainsi comme une amorce à une adhésion définitive.
La communauté politique européenne : un échec annoncé ?
En octobre dernier, dans le cadre de la présidence tchèque du Conseil de l’UE, a eu lieu la première réunion de ce « forum », initié par le président français Emmanuel Macron. Cette communauté regroupe les Etats membres à l’Union Européenne mais également 18 autres Etats, qu’ils soient membres de l’Espace économique européen, candidats à l’UE, ancien membre (la Grande-Bretagne) ou des pays « partenaires » de l’Europe. L’objectif est de créer un dialogue politique, de coordination dans le contexte actuel : celui de la guerre en Europe et de la crise énergétique. Les thèmes de cette première rencontre du 6 octobre 2022 reflètent ces enjeux : « Paix et sécurité » en Europe, « Energie, climat et économie ». Le cadre posé pour ces rencontres est pertinent en ce qu’il est suffisamment large pour s’imaginer n’importe quel thème de discussion et il rassemble des Etats membres et non-membres. Pour les Etats candidats à l’UE et membres de cette communauté, comme pour les Etats membres à l’UE, ce forum peut être l’opportunité de tenir un dialogue, prendre la mesure des positionnements de chacun sur les questions traitées.
Néanmoins, comme le rappelle la Professeure d’histoire des relations internationales Laurence Badel dans une tribune au Monde, ce projet n’est que l’écho d’un projet ayant déjà vu le jour sans réaliser toutes les promesses qu’il tenait : celui initié en 1952, avec l’« Autorité politique européenne ». Il n’y aurait donc, selon Laurence Badel, peu de chance de voir ce projet aboutir, d’autant plus que l’approbation allemande n’est pas aussi certaine que Macron l’aurait souhaité, que des pays d’Europe centrale craignent de voir cette communauté se transformer en une antichambre de l’Union Européenne, faisant d’eux des citoyens de seconde zone[1].
Coup d’annonce de la part du président ou pas, la réponse sera donnée lors des prochaines rencontres déjà planifiées : les 44 Etats participants se rencontreront le 1er juin 2023 à Chisinau en Moldavie, en automne 2023 en Espagne et au printemps 2024 au Royaume-Uni.
Compte tenu de la longueur des processus d'adhésion, il convient d'intégrer la jeune génération dans la "philosophie de l'élargissement", puisque ce sont eux qui seront à moyen-terme porteurs du projet européen.
Un élargissement par la jeunesse ?
Crée en 1987 avec 11 pays participants, le programme Erasmus + propose désormais aux étudiants de passer quelques mois voire un an dans un des 33 pays membres du programme. Parmi ces 33 pays, l’on compte les 27 Etats membres de l’Union Européenne, l’Islande, le Liechtenstein et la Norvège, pays membres de l’Association européenne de libre échange mais également trois Etats en voie d’adhésion : la Turquie, la Serbie et la Macédoine du Nord. L’échange parlementaire international que le Bundestag a développé avec plus de 50 pays, certains pourtant non-membres de l’Union Européenne comme l’Arménie ou Israël est un autre exemple de coopération entre un Etat membre de l’UE avec des Etats tiers, à destination de la jeunesse. Il permet à 120 étudiants par an de partir en Allemagne pour assister un député dans son travail.
Il est intéressant de voir que les pays européens ne se bornent pas aux délimitations du territoire de l’Union pour créer des ponts et des moyens de rencontre entre ses étudiants et ceux du monde entier. En effet, tous ces programmes, facilitant les échanges, permettent à la jeunesse européenne de voir au-delà des frontières de l’Union européenne. Sans pour autant atteindre un élargissement au premier sens du terme avec une adhésion complète à l’Union européenne, ces programmes ont le mérite de faire dialoguer des Etats membres avec des Etats tiers et de permettre à des étudiants de européens et non européens de se rencontrer, d’échanger et de poser les bases d’une relation plus saine entre les Etats d’échange, pour l’avenir, car ils découvrent la culture du pays d’échange mais aussi son système universitaire pour le programme Erasmus, voire même ses rouages politiques dans le cadre de l’échange parlementaire proposé par le Bundestag.
Toutefois, si les frontières européennes ont été franchies par ces programmes, une reste encore tangible : celle de l’accessibilité. L’élargissement par la jeunesse prendrait une dimension encore plus pertinente si nous pouvions parler là de la jeunesse avec un grand « J ». En effet, force est de constater que ces échanges entre jeunes d’Etats membres et d’Etats tiers à l’Union Européenne ne concernent qu’une infime tranche de la jeunesse européenne : celle des étudiants.
Bien que l’intégration « formelle » de pays qui sont aujourd’hui candidats se fera par le haut, leur intégration culturelle, en termes d’échanges, de voyage, d’apprentissage de langues étrangère, ce qui est aussi l’essence de l’Union Européenne, doit pouvoir se faire par tous. En ce sens, les échanges scolaires organisés par les collèges et lycées permettent à toute la jeunesse de voyager, parfois en dehors des frontières de l’Union. En dehors de tout cadre scolaire, la création d’une bourse de voyages à destination de ces pays candidats, voire de programmes complets de voyages, même simplement de tourisme, financés par l’Union Européenne et qui concerneraient tous les jeunes européens accroitraient le nombre d’échanges entre les jeunesses des pays membres et non membres à l’Union Européenne.
Cet élargissement, celui de l’ouverture de ces échanges à tous est essentiel, car ce sont les liens tissés par la jeunesse d’aujourd’hui qui réaliseront l’élargissement de l’Union de demain.
[1] https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/05/24/un-projet-de-communaute-politique-europeenne-a-deja-existe-et-son-histoire-est-aussi-celle-d-un-echec_6127425_3232.html