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La coopération bilatérale en matière d’énergie et de climat

de Emilie Hausmann

Boursière "BoursEngagement" de la représentation de la Konrad-Adenauer-Stiftung en France

De nationalité franco-allemande, Emilie a baigné depuis sa naissance dans la culture franco-allemande. Elle a intégré une école d’ingénieurs à Reims orientée vers le génie urbain, l’aménagement du territoire et les villes de demain. A partir de juin, Emilie effectuera un stage dans un bureau d’études à Fribourg en Brisgau. Elle aimerait travailler sur des projets transfrontaliers et collaborer avec des acteurs franco-allemands responsables de l’aménagement du territoire. L’amitié franco-allemande lui étant très importante, Emilie est bénévole auprès des Jeunes Européens de Strasbourg, en particulier dans le pôle « Relations transfrontalières et européennes ».

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Emilie Hausmann

Cet article est le fruit d'une réflexion personnelle de l'auteur qui ne reflète pas nécessairement les opinions de la Konrad-Adenauer-Stiftung. 

 

De nos jours, les termes de transition énergétique et d’adaptation au changement climatique apparaissent quotidiennement à la radio, dans les journaux, à la télévision et dans les discours des hommes politiques. La France et l’Allemagne sont tous les deux engagées dans une phase de transition énergétique et de lutte contre le réchauffement climatique et partagent de nombreux objectifs comme limiter le réchauffement de la planète à 1,5 degrés, atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, sécuriser leur approvisionnement d’énergie ou encore développer les énergies renouvelables. De ce fait, la coopération franco-allemande dans les domaines de l’énergie et du climat s’est fortement renforcée ces dernières années, même si sur le plan national et européen, de nombreuses tensions demeurent, comme celles liées au nucléaire ou à l’interdiction des voitures thermiques. Afin d’illustrer de manière concrète ces relations bilatérales entre la France et l’Allemagne, nous allons consacrer une première partie à des projets transfrontaliers et à des acteurs de l’énergie et du climat dans la région du Rhin supérieur. Nous verrons que c’est là que la coopération franco-allemande y est la plus visible et la plus ambitieuse. Une seconde partie traitera de l’analyse des relations entre les deux pays dans le domaine de l’énergie et du climat à l’échelle gouvernementale, avec des exemples de problèmes concrets rencontrés et des propositions et suggestions pour améliorer la coopération bilatérale dans l’objectif de mutualiser les forces des deux pays dans la lutte contre le dérèglement climatique.

 

La région transfrontalière du Rhin Supérieur s’étend sur 350 kilomètres le long du Rhin à cheval sur la France, l’Allemagne et la Suisse. Elle comporte l’Alsace, le Sud du Palatinat, une partie du Pays de Bade et les cinq cantons de Suisse du Nord-Ouest. La coopération franco-allemande dans les domaines de l’énergie et du climat y est très marquée. Les projets soutenus par des acteurs aussi bien privés que publics sont nombreux et ambitieux et sont une réelle source de dynamisme pour la région. Nous allons ci-dessous donner quelques exemples de projets concrets ainsi que de programmes d’aide de financement.

Pour commencer, le programme Interreg, qui est cofinancé par l’Union Européenne, cherche à rendre la région transfrontalière « plus verte, mieux connectée, plus sociale, plus intelligente et plus proche des citoyens ». Pour cela, elle soutient de nombreux projets transfrontaliers qui ont pour objectif l’adaptation au changement climatique, la prévention des risques naturels et la préservation de la biodiversité, l’innovation dans les domaines de production et de stockage de l’énergie, la priorité des mobilités douces, en particulier pour les travailleurs pendulaires, ou encore le déploiement de la nature en ville et la lutte contre les ilots de chaleur. Le programme Interreg dispose d’un budget de plus de 230 millions d’euros pour soutenir des projets de coopération transfrontalière, dont plus de 115 millions d’euros proviennent de l’Union Européenne. A la vue de l’ampleur et de la réussite de ce programme, la France et l’Allemagne lui attribuent également un montant de plus de 100 millions d’euros afin de promouvoir les relations franco-allemandes et les partenariats dans la région transfrontalière. Comme exemple de projet soutenu, nous pouvons citer, dans les domaines de l’innovation énergétique et de la lutte contre le réchauffement climatique, le laboratoire vivant CO2Inno. Ce projet de recherche binational, regroupant de nombreuses universités et centres de recherche franco-allemands, a pour objectif de développer des centrales de cogénération à base d’hydrogène pour la production d’électricité et de chaleur et d’utiliser l’énergie produite pour la recharge de voitures électriques. Ce projet se tenant dans la zone de l’ancienne centrale nucléaire de Fessenheim doit servir de vitrine pour une transition énergétique réussie, une production d’énergie sans gaz à effet de serre et une mobilité propre et durable. Dans le domaine du climat, il y a par exemple le projet Atmo-Rhena PLUS. Porté par des acteurs tels que « Atmo Grand Est », le « Landesamt für Umwelt Baden-Württemberg », « l’Agence du climat de l’Eurométropole de Strasbourg » ou encore le « Lufthygieneamt Beider Basel », ce projet cherche à protéger l’atmosphère et améliorer la qualité de l’air. Pour cela, un énorme travail de recherche est réalisé dans un observatoire air-climat-énergie afin de transmettre aux décideurs politiques des données harmonisées sur la situation de l’air, du climat et de l’énergie dans la région du Rhin Supérieur. Cette base de données tri nationale doit permettre aux politiciens de mettre en œuvre des politiques publiques adaptées à la réalité du terrain mais surtout d’agir ensemble et de mettre en place des mesures communes et harmonisées. [1]

Comme autre exemple de la coopération franco-allemande dans la région transfrontalière, il y a le réseau TRION-climate qui regroupe des acteurs de l’énergie et du climat franco-germano-suisse. Le réseau compte aujourd’hui près d’une centaine d’adhérents, que ce soient des acteurs publics comme la région Grand-Est, la Collectivité européenne de l’Alsace, les Länder du Bade-Wurtemberg et de la Rhénanie-Palatinat ou des acteurs privée. Les objectifs de TRION-climate sont la protection de l’environnement, la coopération transfrontalière dans les domaines du climat et de l’énergie, les échanges d’expériences et de données, la mise en commun de connaissances ainsi que le soutien de projets transfrontaliers. Pour cela, le réseau organise de nombreuses conférences afin de mettre en réseaux ses adhérents et de voir émerger de nouveaux projets autour de l’énergie et du climat. TRION-climate procède également à la collecte de données sur des projets phares et les rend publics à tous. La publication de la revue « Energie vis-à-vis » met en avant des projets exemplaires soutenus par ses adhérents. Nous pouvons ici mentionner les travaux de recherches tri nationales menées autour de la thématique du déploiement de l’hydrogène vert dans la région transfrontalière, l’installation de panneaux photovoltaïques innovants ou encore les études réalisées pour promouvoir les mobilités douces et favoriser l’utilisation des transports en commun par les travailleurs pendulaires. [2]

A travers tous ces exemples, nous voyons que la coopération franco-allemande est très marquée et visible de manière concrète dans la région transfrontalière. Nous allons maintenant voir ce qu’il en est à plus grande dimension, c’est-à-dire à l’échelle nationale et gouvernementale.

 

 

Dans un contexte de dérèglement climatique avec des catastrophes naturelles qui se multiplient et le retour de la guerre en Europe entrainant des complications dans l’approvisionnement énergétique et des hausses de prix fulgurantes, la France et l’Allemagne partagent plus que jamais les mêmes objectifs dans les domaines de l’énergie et du climat, c’est-à-dire l’indépendance énergétique, le déploiement des énergies renouvelables, la diminution drastique des gaz à effets de serre et l’adaptation au changement climatique. Afin d’y parvenir, il est primordial que les deux pays mutualisent leurs forces et connaissances, que les décideurs politiques agissent ensemble de manière cohérente et mutualisée et que le duo franco-allemand forme un socle solide dans la politique européenne pour faire émerger des décisions qui seront riches en conséquence sur la protection de l’environnement et la transition énergétique dans toute l’Europe.

Comme exemple de réussite de la coopération franco-allemande à l’échelle nationale, nous pouvons citer la création de l’Office franco-allemand pour la transition énergétique, appelé l’OFATE. Créé en 2006 par les gouvernements français et allemand, il a pour principaux objectifs l’élaboration d’une plateforme d’échange d’informations et de données et la mise en réseau d’un très grand nombre d’acteurs industriels et politiques franco-allemands afin de mutualiser les forces et connaissances et faire émerger des projets dans les domaines de l’énergie sur tout le territoire des deux pays. Etant sous la tutelle du ministère de la Transition énergétique à Paris et du ministère fédéral de l’Économie et de la Protection du Climat à Berlin, le lien entre les décideurs politiques et les acteurs industriels est omniprésent et cherche à faire affleurer des politiques adaptées à la réalité du terrain. Les domaines d’actions de l’OFATE sont très nombreux : les énergies solaire et photovoltaïque, le biogaz, le stockage de l’énergie, la décarbonisation... [3]

Mais malgré ces ambitions communes et la mutualisation des connaissances et des états des lieux, la France et l’Allemagne ne suivent pas le même chemin pour satisfaire leurs objectifs. Nous pouvons ici parler du débat autour du nucléaire. Tandis que l’Allemagne a décidé de sortir du nucléaire après la catastrophe nucléaire à Fukushima en 2011, la France mise énormément sur cette source d’énergie pour réussir sa transition énergétique et atteindre la neutralité carbone. La part du nucléaire dans sa production d’énergie primaire représente environ 70%. Les enjeux de la France dans les prochaines décennies sont de produire jusqu’à 60% d’électricité de plus qu’aujourd’hui, de développer massivement les énergies renouvelables et d’innover le secteur du nucléaire. [4] Tout cela permettra la décarbonisation du pays. Pour recevoir plus d’aides et favoriser les investissements, la France a réussi à faire adopter à la Commission européenne le projet « label vert » pour le nucléaire. Cette source d’énergie est maintenant classifiée comme propre par l’Union Européenne, au grand désespoir de l’Allemagne. Celle-ci a investi massivement ces dernières années dans les énergies renouvelables comme les éoliennes off-shore ou les panneaux photovoltaïques. Mais cela ne lui a pas suffi pour combler le manque d’approvisionnement de gaz russe, l’obligeant à rouvrir des centrales à charbon qui étaient déjà fermées.

Un autre exemple tout récent étant source de divergences de points de vue dans les domaines de l’énergie et du climat est le blocage par l’Allemagne de l’interdiction des voitures thermiques en 2035, un accord qui devait être voté par l’Union Européenne début mars. Les moteurs à combustion interne ainsi que les voitures neuves à essence, diesel et hybrides devraient donc continuer à pouvoir être vendus après 2035. Cette décision prise par le gouvernement allemand a été mal reçue par le gouvernement français.

Malgré tout, en cas d’urgence et de situation extrême, la coopération franco-reste une constante, même dans des domaines sensibles tels que l’énergie , comme l’a montré la solidarité énergétique entre les deux pays cet hiver, lorsque la France a livré à l’Allemagne du gaz en échange d’électricité. Nous pouvons tout de même avancer quelques critiques et nous poser quelques questions sur les relations franco-allemandes dans les domaines de l’énergie et du climat dans la perspective de les améliorer dans le futur. Ainsi, nous avons pu remarquer que sur les plans nationaux et européens, les gouvernements français et allemands sont rarement d’accord sur le chemin à suivre pour répondre aux enjeux de nos jours. Le fait de défendre inlassablement sa propre stratégie énergétique en critiquant fortement celle de l’autre n’est-il pas un frein pour la coopération entre les deux pays ? Plutôt que de chercher à développer et à se mettre d’accord sur une même stratégie énergétique binationale, ne serait-il pas mieux de favoriser la mutualisation des connaissances techniques ainsi que des données sur les états des lieux pour accélérer la recherche dans les innovations pour la transition énergétique et la lutte contre le réchauffement climatique ? Ne faudrait-il pas plutôt soutenir les recherches scientifiques franco-allemandes dans les domaines de l’énergie, de la mobilité et de l’environnement ? Ne serait-ce pas plus avantageux de chercher à faire émerger des projets franco-allemands à l’échelle locale, de taille modeste et adaptés à la réalité du terrain ? Tout cela permettrait à la France et à l’Allemagne d’accélérer leur transition énergétique et leur lutte contre le réchauffement climatique, de satisfaire leurs objectifs et de répondre aux enjeux cruciaux de nos jours, peu importe la stratégie énergétique qu’ils suivent à l’échelle nationale.  

 

 

[1] https://www.interreg-rhin-sup.eu/

[2] https://trion-climate.net/fr/

[3] https://energie-fr-de.eu/fr/accueil.html

[4] https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/edition-numerique/chiffres-cles-energie-2021/6-bilan-energetique-de-la-france

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