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La place de la religion dans l'Europe d'aujourd'hui

de Nicolas Heitmeyer

Boursier "BoursEngagement" de la représentation de la Konrad-Adenauer-Stiftung en France

De nationalité franco-allemande, Nicolas a fait une double-licence de droit français et de droit allemand à l’Université Paris-Nanterre et à l’Université de Potsdam, avant d’intégrer en septembre 2022 un Master en droit européen des affaires et de la concurrence à l’Université Paris II Panthéon-Assas. Il se prépare à passer l’examen du barreau en septembre prochain, afin de devenir avocat et de se spécialiser dans les questions juridiques transfrontalières. Engagé en politique, il a notamment été président des Jeunes Républicains (LR) en Allemagne, et a participé à la campagne de la CDU pour les élections législatives de 2021 en Allemagne, et celle du parti Horizons pour les élections législatives de 2022 en France.

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Nicolas Heitmeyer

Cet article est le fruit d'une réflexion personnelle de l'auteur qui ne reflète pas nécessairement les opinions de la Konrad-Adenauer-Stiftung. 

 

La religion a joué un rôle central dans l'histoire de l'Europe. Depuis la christianisation de l'Empire romain au IVe siècle, en passant par les croisades du XIeme au XIIIème siècle et les guerres de religions au XVIème siècle, la religion, et en particulier la religion chrétienne, a façonné l’histoire et la culture de l’espace européen.

Pourtant, depuis les années 1970, les sociétés européennes font face à un phénomène de sécularisation, se traduisant notamment par un recul de la pratique religieuse chrétienne, qui constituait autrefois le fondement de la vie sociale en Europe, mais dont la place dans nos sociétés semble devenir de plus en plus marginale.

C’est ce qui ressort de la majorité des sondages, comme celui réalisé par l’institut IFOP/Fiducial en France (1) paru le 7 avril 2023, dans lequel seuls 44% des Français se déclarent croyants, parmi lesquelles 65% se déclarent catholiques ; un recul de 5 points par rapport à 2021. Ce constat peut également être fait en Allemagne, où les citoyens, pour des raisons fiscales liées au financement public des cultes, doivent déclarer à l’État à quelle religion ils appartiennent. Ainsi, 640.000 personnes ont quitté l'Église catholique ou protestante en 2021 (2), un record, faisant passer pour la première fois le pourcentage des personnes adhérentes à l’Église en Allemagne sous la barre symbolique des 50%, alors que les Eglises catholiques et protestantes avaient encore 72% de fidèles en 1990.

Parallèlement à cela, les pays européens ont également connu de grands phénomènes migratoires en provenance d’Afrique du Nord et de Turquie dans les années 1970, ayant pour conséquence l’implantation nouvelle de l’islam en Europe occidentale. Une étude menée en 2016 par le Pew Research Center et relayée par le CNRS (3) prévoit que si les flux migratoires restent constants, la proportion des musulmans en France et dans l’UE pourrait encore doubler d’ici 2050, passant de 4,9% de la population au sein de l’UE en 2016, à 11,2% en 2050, et passant de 8,8% en 2016 en France à 17,5 % en 2050, ce qui ferait de la France le 2ème pays musulman de l’UE après la Suède (20,5% en 2050).

On constate également qu’une partie des personnes originaires de pays aux racines musulmanes a rencontré des difficultés à s’intégrer dans les sociétés d’Europe occidentale, liées notamment à la concentration, voire la ghettoïsation de ces populations dans des quartiers souvent délabrés, éloignés des centres-villes, souffrants d’une disparition progressive des services publics et d’une montée de l’insécurité au fil du temps.

C’est aussi de cette très forte concentration de personnes issues de l’immigrations, et de ce sentiment de rejet qu’elles peuvent ressentir de la part du reste de la population, qu’est né dans ces quartiers défavorisés un phénomène d’entre soi qui, mêlé à la montée d’une vision fondamentaliste de l’islam dans les années 2000, a donné lieu au phénomène de communautarisme dans certains de ces quartiers, et à l’émergence parfois, des sortes de sociétés parallèles, davantage régies par des principes religieux que par les lois de leurs pays d’accueil.

De ces différents constats naissent au moins trois grandes problématiques ; D’abord celle du sentiment de rejet et de marginalisation d’une partie de la population issue de l’immigration. Ensuite, celle de la peur qui émane d’une autre partie de la population en Europe, qui a le sentiment de voir sa culture et ses repères noyés dans des pratiques qu’elle ne considère pas comme siennes. Enfin, celle de la montée des partis populistes, qui ont fait de ces sentiments antagonistes leur terreau pour s’implanter dans le paysage politique. Et de ces trois problématiques en naît au moins une de plus, celle d’un cercle vicieux ; en exploitant les peurs des uns, les partis populistes nourrissent le sentiment de rejet et les difficultés d’intégration des autres, dont ils se serviront ensuite à des fins électoralistes.

Comment l’UE peut-elle favoriser une implantation harmonieuse de l’islam sur ses territoires, dans ce contexte où la question de la religion est polémique, où le taux de la population musulmane en Europe est croissant, et où les parties populistes, généralement eurosceptiques, semblent s’implanter durablement dans le paysage politique européen ?

 

Nous essaierons de donner quelques pistes de réflexion pour apporter des réponses à cette question, essentielle pour la lutte contre le séparatisme religieux et pour l’intégration de tous dans la société européenne. Nous verrons quelles approches ont été adoptées par la France et l’Allemagne face à ces problématiques, et dans quelle mesure l’UE pourrait s’en inspirer.

La France est connue pour son approche rigoureuse entérinée par la loi du 9 décembre 1905, que l’on appelle la « laïcité », et qui vise à garantir la séparation entre l'État et les institutions religieuses, et le droit de chaque citoyen de pratiquer son culte librement, en dehors de la sphère publique et à l’abri des fluctuations politiques. L’Allemagne connaît également une tradition de séparation de l'Église et de l'État, ce qui signifie que les institutions religieuses n'ont pas de pouvoir politique direct. Cependant, cela n’empêche pas les instituons religieuses de jouer un rôle important dans la vie publique en tant que partenaires de l’État pour des projets sociaux et culturels et pour la promotion du dialogue interreligieux. Le système allemand reconnaît les principales religions davantage comme des partenaires de l'État, leur accordant certains privilèges et responsabilités. Par exemple, l'enseignement religieux catholique et protestant est dispensé dans les écoles publiques, ce qui n’est pas le cas en France, et les organisations religieuses bénéficient d'un financement par le biais d'un impôt sur le culte, prélevé directement sur les revenus des croyants.

Peut-être trouve-t-on ici un premier élément de réponse. Peut-être la France s'est-elle donnée une ambition démesurée et irréaliste en voulant « supprimer » la religion de l’espace public, tandis que l’Allemagne a adopté une approche plus pragmatique, qui vise davantage à accueillir et à accompagner le religieux, plutôt que de vouloir le contrôler. La France, qui revendique tant son indépendance vis-à-vis du religieux, qui se voulait être un État dans lequel la religion ne devait plus être un sujet de controverse, se retrouve paradoxalement à être l’un des pays européens où la place de la religion semble être un débat sans fin.

L’Allemagne a quant à elle justement misé davantage sur le dialogue et la coopération avec les organisations religieuses, en mettant notamment l'accent sur l'éducation et la formation des imams, ce qui semble avoir été une approche plus efficace que celle adoptée par ses voisins. En effet, la majorité des imams présents en France et en Belgique sont subventionnés et ont été formés par des pays où la pratique de l’islam est éminemment plus rigoureuse qu’en France, notamment la Turquie et l’Algérie, ce qui a mené ces dernières années à un certains nombres d’expulsions d’imams du territoire français qui tenaient un discours incompatible avec les valeurs de la République. Peut-être l’UE devrait-elle à ce titre, en intelligence avec les principales organisations musulmanes présentes en Europe, développer un programme de formation des imams, afin que ceux présents sur le territoire de l’UE prêchent un discours et une vision de l’islam davantage compatible avec les valeurs et les mœurs européennes, notamment en ce qui relève des droits des femmes et de la liberté d’expression.

 

S’agissant de l’intégration au sein de l’UE des personnes issues de l’immigration et de pays de culture musulmane, là encore l’Allemagne semble avoir adopté une politique d’accueil qui a porté ses fruits lors de l’afflux migratoire de 2015 à 2016. À cette occasion, l’Allemagne a également prouvé qu’elle avait appris de ses erreurs commises dans les années 1980, lors des déplacements de population en provenance du Liban ; le gouvernement allemand n’avait alors mis en place aucune obligation d’instruction pour les enfants issus de ces flux migratoires, ni aucune mesure afin de faciliter l’accès au marché du travail. Les migrants ne s’étaient à l’époque vue attribuer qu’une « Duldung », c'est-à-dire une autorisation de séjour leur permettant de rester en Allemagne, sans pour autant avoir de réel statut leur donnant accès au marché du travail. Et c’est de ces flux migratoires, pour lesquels l’État n’avait mis en œuvre aucune mesure visant à favoriser l’intégration, que sont nées les « Clans arabes », ces « familles » présentes dans les grandes agglomérations, notamment à Berlin, qui comptent aujourd’hui des dizaines de milliers de membres, vivant en marge de la société faute d’avoir été intégrés, et dont une partie vit de la criminalité, à défaut de s’être vu accorder un accès au marché du travail. Mais en 2015 l’Allemagne disposait d’infrastructures d’accueil construites dans les années 1990 au moment des flux migratoires en provenance d’Ex-Yougoslavie, qui lui ont permis d’accueillir dans des conditions dignes plus d’un million de personnes en deux ans, sans que jamais des personnes soient logées pendant des mois dans des tentes de fortune comme cela a pu être le cas en France, en Espagne, ou en Grèce. En plus de cela, l’Allemagne a également mis en place un programme de répartition de ces personnes sur tout le territoire (y compris dans les campagnes), une obligation d’instruction des enfants dans les écoles allemandes, et un accès facilité au marché du travail, afin de permettre à ces personnes de s’intégrer le plus rapidement possible dans la société.

Voilà peut-être aussi une stratégie dont pourrait d’inspirer l’UE ; au lieu de laisser certains pays comme la Grèce ou l’Espagne porter le fardeau d’une immigration massive qu’ils n’ont pas les moyens d’accueillir, l’UE pourrait mettre en place une politique migratoire commune, de répartition des migrants dans l’ensemble des États membres, avec des obligations de scolarisation des enfants, d’apprentissage de la langue, de formation à la vie civile, aux valeurs et aux mœurs du pays d’accueil.

 

De façon plus général, il semblerait enfin que l’UE doive impérativement entretenir un dialogue plus approfondie avec les organisations religieuses musulmanes, afin de comprendre les difficultés d’intégration que peuvent rencontrer les personnes de confession musulmane en Europe. L’UE entretient des liens réguliers avec centaine d’organismes religieux, dont plus des deux tiers sont chrétiens, ce qui n’est pas surprenant étant donné que tous les États membres de l’UE trouvent leurs racines historiques et culturelles dans diverses expressions du christianisme ; mais dont seules quatre sont musulmans (4), ce qui parait dérisoire au vu des problématiques que nous avons vues.

La question de la religion en Europe est un sujet extrêmement vaste, qui se subdivise elle-même dans des centaines d’autres questions, qui mériteraient à elles seules des livres entiers. Il s’agissait ici de traiter davantage la question de l’intégration de l’islam en Europe, qui cristallise beaucoup de tensions depuis plusieurs années en Europe. L’UE, qui est restée jusqu’à présent assez discrète sur cette question, aurait pourtant vocation à aborder ce sujet, qui n’est pas un simple sujet de politique nationale, mais bien un sujet d’ampleur européenne, qui mériterait de faire l’objet (au moins à certains égards) d’une politique commune. Nous n’avons traité que des approches adoptées par l’Allemagne et la France, mais sans doute les autres États membres en ont-ils d’autres dont les 27 pourraient s’inspirer afin d’adopter notamment une politique migratoire commune, permettant une meilleure intégration des personnes issues de l’immigration en Europe, et une pratique de l’islam plus adaptée aux mœurs européennes.

 

(1) https://www.ifop.com/wp-content/uploads/2023/04/119689-Rapport-SR-N219.pdf

(2) https://fowid.de/meldung/kirchenaustritte-2022

(3) https://www.icmigrations.cnrs.fr/2019/04/17/defacto-6-005/ et https://observatoire-immigration.fr/nombre-musulmans-france/

(4) Lucian N. Leustean, « Does God Matter in the European Union? » dans Lucian N. Leustean (ed.), Representing Religion in the European Union. Does God Matter?, London, Routledge, 2012, pp. 1-32.

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