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Comptes-rendus d'événement

LA CONTROVERSABILITÉ DE L´ISLAM TUNISIEN

de Hatem Gafsi
La Konrad-Adenauer-Stiftung et l’association Tounes Al Fatet ont organisé un séminaire intitulé « la controversabilité de l’Islam Tunisien», samedi 4 mars 2017, à l’hôtel Novotel à Tunis.Le séminaire s’inscrit dans le cadre du plan stratégique 2016-2017 de Tounes Al Fatet «Commençons par nous concilier avec nous-mêmes», et plus précisément son axe I intitulé « De l’identité tunisienne », en continuation avec le séminaire « Carthaginois » organisé en Février 2016, et un deuxième séminaire sur « Le réformisme tunisien (1837-1934) » organisé en Novembre 2016.

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Les principaux objectifs du séminaire été de présenter une lecture critique de la notion d’ « Islam Tunisien », de mettre l´accent sur certains aspects témoignant de la diversité de l’Islam en Tunisie, de discuter de l’actualité des institutions religieuses en Tunisie et des défis de la modernisation du discours religieux en Tunisie.

La parole a été donnée, d´abord, à Dr. Youssef Seddik, anthropologue et philosophe tunisien pour parler des institutions religieuses en Tunisie. Il a donné un aperçu sur la genèse des grands rites sunnites (hanéfite, malikite, shaféite, et hanbalite) rappelant que leurs fondateurs avaient une relation tendue avec le pouvoir politique et ont tous refusé de reconnaitre les dynasties de leurs époques. Il a souligné que la prédominance du malikisme au Maghreb a enfreint la diversité, et il a affirmé que la fatwa est au centre de l’institution religieuse aujourd’hui, ce qui pose la problématique de la contradiction entre la charia et le Droit positif étatique.

L’intervention de Dr. Taoufik Ben Ameur, Professeur de civilisation arabe à l’Université de Tunis était intitulé « le soufisme en Tunisie: de la présence au folklore ». Le conférencier a précisé que le soufisme en Tunisie remonte au IIème siècle de l’hégire. Il a passé par plusieurs étapes, le VIème et VIIème de l’hégire : c’était l’apogée du soufisme, bénéficiant du soutien des Almohades puis des Hafsides en réaction à la rigidité des Almoravides. Les théories soufies du qotb et de l’unicité sont apparues au Maghreb, mais c’est le soufisme pratique qui a prévalu sur le soufisme philosophique. C’était le résultat de la rencontre entre les courants venus de l’Orient (Abdelkader Jilani et Al-Ghazali) et les courants andalou-maghrébins (Boumediene Al-Ghawth) et qui a réussi à affirmer sa spécificité et malgré quelques dérives, il restait dans les limites de la sunna. Les Waliys (marabouts) avaient une grande influence auprès des populations.

Du VIIème siècle de l’hégire à l’indépendance : c’était l’époque des « Turuq » (voies en arabe). Même si la première tarîqa était la kadiria, les plus répandues étaient au nombre de six: aissaouia, soulamiya, rahmaniya, tijaniya, et chedhilya. Elles étaient toutes des turuq sunnites partageant la même théologie, mais elles diffèreraient au niveau de certaines pratiques. C’était l’époque du soufisme populaire. Les turuq ont remplacé l’Etat dans plusieurs rôles, et la zaouïa avait un grand rôle à jouer au sein des populations locales, complémentaire au rôle de la mosquée.

De l’indépendance à la Révolution : le rôle des turuq a diminué dans tous ses aspects, surtout avec la dissolution des habous et la modernisation de l’enseignement. Les zaouïas jouent désormais un rôle culturel (préservation du patrimoine).

Après la révolution : des courants salafistes radicaux sont apparus, et certaines zaouïas ont subi des attaques. C’était considéré comme une atteinte à l’identité religieuse des tunisiens, et l’une des raisons qui a amené à la rédaction du « pacte des ulémas de la Tunisie ».

La troisième intervention de la matinée était celle de Dr. Fethi Bouagila, professeur de civilisation arabe à l’Université de la Zitouna, et portait sur « la diversité des rites: entre la liberté de croyance et les besoins identitaires ». Dr. Bouagila a précisé qu’à coté de la diversité religieuse en Tunisie (Islam, judaïsme, christianisme, bahaïsme…), il existe une diversité dans l’Islam entre différents rites. Dans le sunnisme même, existait une diversité même entre le rite malikite et le rite hanéfite (même s’il ne restait que les minarets de ce dernier). Les soufis appartiennent à des turuq différents. Au sein du salafisme, il y a des divergences notables entre le salafisme scientifique et le salafisme jihadiste, outre le salafisme « madkhali ». Au-delà du sunnisme, il y a des tunisiens qui ont adopté le shiisme. A côté de ces groupes, la présence ibadite peut être considérée comme la plus ancienne, remontant au premier siècle de l’hégire. Ce groupe qui a pris ces distances par rapport à l’extrémisme kharijite, et vit paisiblement avec les autres groupes, offrant à la Tunisie certains penseurs et militants, comme Salem Ben Yaacoub et Slimane Jedoui.

La deuxième séance a commencé par l’intervention de Dr. Adel Belkahla sur « la situation actuelle du malékisme en Tunisie ». Il a souligné que le rite malékite était centré sur une idée ethnologique (rite des habitants de la Médine). Il n’est devenu le rite du pouvoir politique en Tunisie qu’avec les zirides. Il a été concurrencé par d’autres rites ce qu’il l’a rendu plus fertile, avant de dominer et exclure toute diversité. Le conférencier a affirmé que selon ses recherches, 70% des jeunes tunisiens ne font pas la prière selon le rite malékite. Il a précisé que la faiblesse de la Zitouna à l’indépendance témoignait de la faible présence de ce rite au sein des populations.

La deuxième intervention était celle de Dr. Monia Almi, professeure à l’université de la Zitouna, et portait sur « la Zitouna : de la mosquée à l’université ». Dr. Almi a mis l’accent sur la relation étroite entre la citoyenneté et l’identité religieuse en Tunisie. Ceci est visible dans le rôle qu’ont joué les zitouniens dans la lutte contre l’occupation française. L’enseignement zitounien était en crise depuis la fin de l’époque hafside, et la réforme était devenue une nécessité. Mais quand le projet de réforme de Mohamed Tahar Ben Achour a abouti, la rupture était faite avec l’indépendance, et la séparation entre le charaique et l’académique s’est installé.

L’intervention de M. Esghaier Chamakh, chercheur en sociologie, portait sur « le discours religieux de l’Etat indépendant ». M. Chamakh a rappelé qu’au début des années 1980, la conciliation de la Tunisie avec son identité arabo-musulmane entrait dans les priorités de certains courants politiques. Le discours religieux sous Bourguiba révélait plusieurs contradictions, puisqu’il faisait l’éloge de la religion dans les discours protocolaires, et critiquant certains pratiques et rituels dans d’autres discours. Ce discours trouve ses racines dans une lecture européocentriste des Lumières, adoptée par le premier président tunisien.

Dans son rapport de synthèse intitulé « De la modération de l’Islam Tunisien », M. Issa Jabli, chercheur en civilisation islamique a essayé de décortiquer cette notion. La modération (Al- i’tidâl en arabe) renvoie à une interposition non claire. L’association d’une religion à un lieu semble impliquer qu’il s’agit d’une expérience complète, distincte des autres « islams », et d’une interprétation originale. Politiquement, cette expression a été utilisée d’un côté contre l’islam politique, qui lui-même a fini par l’adopter, et d’un autre coté pour réconforter les partenaires étrangers de la Tunisie. Socialement, cette expression est utilisée pour faire accepter certaines pratiques (telles que les visites aux marabouts) et même pour faire accepter des travaux artistiques. Elle est utilisée également pour répondre au salafisme wahabite et pour valoriser l’identité nationale. Mais concrètement, cette expression ne correspond pas du tout à la réalité, comme on peut le voir dans l’attitude des zitouniens, même les plus progressistes, envers l’universalité des droits de l’homme, de l’Autre, et des interprétations qui vont au-delà du Texte. Le conférencier a conclu que « l’Islam Tunisien » n’est qu’une fiction à caractère idéologique, qui n’exprime point une réalité historique.

150 personnes environ ont assisté au séminaire. Les intervenants ont salué la forte présence des jeunes notamment la présence de quelques étudiants indonésiens qui ont assisté aussi aux séances de débat. Plusieurs question ont été soulevées lors des sénaces de débats comme par exmple le rôle des institutions religieuses de l’Etat tel que le Mufti de la République, le déni de la sunna dans la pensée des coranistes, les racines du soufisme dans le Coran, la relation entre les turuq soufies et le pouvoir politique, le rôle formel de l’Université de la Zitouna, le rôle probable de la Théologie de libération dans la réforme du discours religieux et le choix difficile entre rationalité et spiritualité.

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