Comptes-rendus d'événement
Des Représentants de hauts niveaux de l’Eglise Catholique dont le Cardinal Peter Turkson, Président de l’Institut pontifical « Iustitia et Pax », le Nonce Apostolique près le Bénin et le Togo, Monseigneur Michael Blume, ainsi que l’Archevêque de Cotonou se sont retrouvés pour discuter des solutions aux défis actuels du continent africain et du rôle de l’église catholique.
Rapport de la cérémonie d’ouverture
Du « Caritas in Veritate » à « Africae Munus » : les défis actuels de l’Afrique à la lumière de la doctrine sociale de l’église, tel est le thème sur lequel est organisée la conférence épiscopale qui s’est ouverte le mercredi 07 mars 2012 au Chant d’Oiseau de l’Institut Africain pour la Justice et la Paix (IAJP) à Cotonou avec le soutien de la Fondation Konrad Adenauer. La cérémonie d’ouverture a connu entre autres la participation de hauts responsables du clergé africain, d’une délégation du saint siège, du Nonce Apostolique près le Bénin et le Togo, du Premier Ministre du gouvernement du Bénin, et de la Représentante Résidente de la Fondation Konrad Adenauer, Mme Elke Erlecke.
Après les mots de bienvenue de son Excellence Monseigneur Antoine Ganyé Archevêque de Cotonou et Président de la conférence épiscopale du Bénin, qui a remercié le conseil pontifical pour la justice et la paix d’avoir voulu organiser la présente assise sur sa terre natale, et s’est réjoui de la tenue effective de cette rencontre dans son diocèse, ce fut le tour de Monseigneur Feliho, en sa qualité de Président de la commission nationale Justice et Paix de faire remarquer, que le continent africain a connu plusieurs soubresauts, qui n’ont pas manqué de ruiner son tissu économique. Ce continent ne manque cependant pas de ressources minières et humaines pour faire face aux défis qui se posent à lui, car pour le prélat, l’Afrique est « une terre bénie par le Seigneur » mais qui peine à se relever. S’appuyant sur le fait que l’Afrique est une terre d’expérience de la foi chrétienne et sur le fait que les partisans de l’église sont pourtant bien des fois à l’avant d’actes très peu élogieux, voire source de barbarie, il a posé le problème de manque de résultats de l’enseignement de la doctrine, ce dont la conférence épiscopale a pris conscience et à travers son département veut faire renaître l’Homme.
Ce fut ensuite le tour du Cardinal Turkson, Président du conseil pontifical Justice et Paix, précédé de son Excellence Monseigneur Blume, Nonce Apostolique près le Bénin et le Togo, qui dans sa brève allocution, s’est félicité qu’après l’historique visite réussie du Saint Père du 18 au 20 novembre 2011 qui est toujours présente dans la mémoire collective de toutes les couches de la société béninoise, nous sommes à nouveau privilégiés, pour abriter cette réflexion qui nous met « en chantier de la justice de la réconciliation et de la paix ». Le Président de la délégation du Vatican ira dans le même sens après plusieurs mots de remerciements notamment à la Fondation Konrad Adenauer pour son soutien et les très bonnes relations qu’elle entretient avec l’église famille de Dieu, surtout en matière d’édification d’une justice sociale. Il a par ailleurs martelé, que « l’heure de l’Afrique a sonné », pour que chaque Africain prenne ses responsabilités, et se mette au service de Dieu et du prochain. Dans l’«Africae Munus », le Pape Bénoit VI parle de l’engagement social de l’Homme et invite chacun de nous à apporter selon son charisme, ses moyens pour les nouveaux défis de l’Afrique. Lors de sa dernière visite dans son pays natal, le Saint Père a d’ailleurs rappelé devant le parlement allemand, que l’Homme politique doit être caractérisé par la motivation de son travail, car la politique doit être un engagement pour la paix et non pour ses propres intérêts. Donc on y arrive pour servir et non pour se servir. Or ce même esprit est aussi à la base de la vocation de l’Homme de Dieu. Ce parallélisme entre le Politique et le Religieux, amène l’Eglise à accompagner l’Etat sur cette voie.
La Représentante Résidente de la Fondation Konrad Adenauer a pour sa part rappelé le contexte de la naissance des fondations politiques en Allemagne, dont la Konrad Adenauer. En effet, après plusieurs années d’expériences douloureuses de la dictature, le peuple allemand a compris, que l’ignorance des règles civiques et politiques est un terreau fertile des régimes autoritaires. Pour y pallier, il semble indispensable de doter l’être humain, de connaissances nécessaires à la compréhension du fonctionnement de la communauté, car des citoyens formés et informés constituent la base une société démocratique partageant des valeurs fondamentales de la justice et de la paix. D’où la création de fondations politiques financées par des moyens publics. La Fondation Konrad Adenauer a une longue tradition en matière de formation des masses populaires, bénéficie d’une grande expérience et jouit d’une grande réputation internationales dans la divulgation des notions de paix, de dialogue, de justice, d’économie sociale de marché… . Le bureau de Cotonou, travaille d’ailleurs sous le sceau du « Dialogue Politique en Afrique de l’Ouest ». Ses objectifs cadrent parfaitement avec ceux du présent séminaire de la conférence épiscopale.
Enfin, l’Honneur est revenu à son Excellence Monsieur Irenée Koukpaki, de : rappeler que les relations entre l’église catholique et le Bénin sont des relations bien établies. L’action des évêques pour la cohésion sociale est combien édifiante. Il a salué au passage la mémoire de très Hautes Grandes Figures, dont son Eminence le cardinal Bernadin Gantin, discret mais efficace, qui montre le patriotisme de l’Homme de l’église. Son Excellence Monseigneur Isidore De Souza, ex archevêque de Cotonou, celui dont sans la foi et la détermination, nul ne se saurait prédire l’issue de l’historique conférence des Forces Vives de la Nation de février 1990. Monseigneur Lucien Agboka, ex archevêque d’Abomey, pour la création de multiples centres d’apprentissage tant pour les garçons que pour les filles. Toute la conférence épiscopale mérite admiration pour son action en faveur de la paix, et a toujours très activement œuvré chaque fois que la paix sociale semble menacée, et ceci par différents canaux, dont les lettres pastorales. Celle (la lettre pastorale) de février 1992 sur les exigences de la démocratie a-t-il tenu à préciser est toujours d’actualité, pour ce qui concerne la paix, la solidarité, la gouvernance … . Pour le Premier Responsable de la Primature du Bénin, le gouvernement s’est déjà engagé dans l’exhortation du Saint Père, à une nouvelle gouvernance (la lutte contre la corruption, la transparence, un pouvoir judiciaire fort crédible et accessible … ) En effet, le mandat actuel de son Excellence le Docteur Boni Yayi, Président de la République, est placé sous le sceau de la refondation, ce qui a pour finalité, la restauration des valeurs morales et sociétales, les réformes aux plans syndical, judiciaire, économique … pour le développement intégral. Il appelle à une révolution de nos valeurs pour de nouvelles relations entre gouvernants et gouvernés, l’amour du prochain, la préservation de la vie, le sens de responsabilité, le travail, la dignité, la fraternité, la justice, la paix, la vérité, valeurs contenues dans la nouvelle charte du gouvernement. Il a pour finir, insisté sur la rupture avec le vécu sociétal actuel, car nous avons les solutions à nos maux, avant de déclarer ouvert le séminaire qui apportera sa contribution à l’éveil des consciences.
Rapport des communications
La première communication sur la « Caritas in Veritate » présentée par son Eminence le Cardinal Peter Turkson a permis de planter le décor, de situer le contexte dans lequel les échanges devront se dérouler. La « Caritas in Veritate » pose en fait les balises pour un développement humain, la fraternité, le développement économique et la société civile, la « Caritas », la promesse de Dieu et l’espoir de l’humanité, la « Véritas », la lumière qui donne sens et valeur à la charité. La charité exige la justice, la reconnaissance et le respect des droits des individus et des peuples, car seule la charité éclairée par la lumière de la raison et de la foi permettra d’atteindre les objectifs de développement porteurs d’une valeur plus humaine. La deuxième communication qui entra dans la même logique mais sous un autre angle a eu le mérite de soulever la nécessité de la Doctrine Sociale de l’Eglise (DSC). En effet le docteur Camillus Kassala, chercheur et Ex enseignant à l’institut de management et de financement en Tanzanie, a au début de son développement problématisé la question de l’influence des Catholiques sur leurs milieux de vie. Cherchant à répondre à la question de savoir : dans quelle mesure les Catholiques sont le sel et la lumière de la société africaine ? Il a et de façon très pratique étudié la proportion des Chrétiens Catholiques dans plusieurs pays d’Afrique et l’évolution de ces derniers. Ce qui a permis de s’apercevoir, que plus il y a des Catholiques dans une société, plus le niveau d’éducation est élevé ; plus il y a des Catholiques, plus le développement humain est effectif, mais malheureusement aussi, plus il y a des Catholiques, plus le niveau de la corruption est élevé. Si les jeux de questions et réponses ont permis de comprendre que ces statistiques ne sont pas de nature, à attester que les Catholiques sont particulièrement favorables au phénomène de la corruption, il faut préciser que c’est la modération de Monseigneur B. Munono précédée de la communication de Mme Elke Erlecke qui vont le plus éclairer sur la participation des fidèles catholiques et le rôle de la formation dans la vie d’un peuple. En effet, dans son intervention portant sur l’enseignement de la doctrine sociale de l’église, la Représentante Résidente de la Fondation Konrad Adenauer a fait le parallèle avec l’expérience de la République Fédérale d’Allemagne, qui après plusieurs années de régimes dictatoriaux, a compris la nécessité de faire de l’éducation civique et de la formation politique des populations, la méthode la plus appropriée pour enraciner la démocratie. Monseigneur Munono, également membre du conseil pontifical, confirmera le besoin de formation et de l’enseignement de La DSE mais en prenant appui sur nos valeurs traditionnelles, car a-t-il précisé « la doctrine sociale est fondée théologiquement, mais demeure ouverte ».
L’encyclique « Caritas in Veritate », comme nous l’avons vu, vise après tout le développement intégral. Ce qui justifie qu’on y consacre l’après-midi de ce 07. 03. 2012. Le consultant international, le Financier Claude d’Almeida à travers sa présentation portant sur la marche vers « une économie à visage humain » a essayé de proposer des pistes de réflexion pour une humanisation de l’économie. Parti du constat selon lequel la pauvreté recule partout dans le monde sauf en Afrique (22 % de la population sous les 1,25 $ et 42 % sous les 2 $), il suggère que l’église se base notamment sur ces quatre principes (dignité humaine, bien commun, subsidiarité, et solidarité) pour véritablement lancer le continent sur la voie de développement. Son homologue du Ghana, Monsieur Lawrence Honny, se penchant sur la question de la globalisation et de l’aide internationale, empruntera une démarche scientifique similaire pour faire remarquer que tout autant l’Eglise que la communauté africaine sont confrontées aux mêmes défis, car se demande-t-il, comment se fait –il que l’aide internationale a bien souvent des visés stratégiques ?. L’Afrique environ trois fois plus grande que l’Europe de même que les Etats-Unis, reçoit toujours de l’aide de ces parties du monde. L’église peut si elle le veut, appuyer le continent à maîtriser l’exploitation des ses ressources naturelles. Le modérateur, le Révérend Père Raymond Goudjo, a résumé toutes ces difficultés et s’est dit convaincu, qu’une prise de conscience, à temps, notamment soutenue par une formation du laïcat dès le bas âge pourrait être d’une grande utilité.
La matinée du 08. 03. 12 a été inaugurée par une thématique sous-jacente à l’économie : la bonne gouvernance. Ainsi, l’honneur revint au docteur Baffour Agyeman-Duah, conseiller spécial à la mission des Nations Unies au Libéria d’ouvrir le bal avec l’épineuse question de Politique et bonne gouvernance au regard du juste ordre. Dans un délicat exercice de définition des thèmes centraux, la politique (un système de gestion de la cité), bonne gouvernance (met en exergue les valeurs essentielles que promeut la politique), et juste ordre (l’ordre qui salut la dignité de la personne humaine), il s’est employé à décortiquer les méthodes de gestion des biens publics en Afrique depuis les indépendances, et en a conclu, que l’encyclique « Caritas in Veritate » est venue à point nommé, car aucun de ces concepts, particulièrement la bonne gouvernance et son corollaire le juste ordre n’avaient de place dans le vocabulaire des dirigeants africains. Pour le consultant onusien, le rôle de l’église pour un ordre juste ne pourrait s’opérer sans une identification des ressources humaines et un renforcement des capacités des autorités catholiques elles même à divers niveaux. Il faut dire que plusieurs commentaires et contributions plus que des questions ont conforté l’orateur dans sa position ; mais le plus évident a été l’intervention de la Représentante Résidente. Se basant sur les efforts déployés par son institution aux côtés d’une organisation composée de la nouvelle génération de politiques, appelée « jeunes leaders », elle a souligné l’importance d’inculquer à cette frange de la population, les méthodes et retombées d’une meilleure gestion des affaires publiques. La communication qui suivit, portant sur un tout autre thème « élection et légitimité du pouvoir, l’expérience de l’église africaine … » n’a pas manqué de réveiller l’attention des participants. Le présentateur dans son développement n’est pas allé par quatre chemins, sur la base de constats récurrents pour affirmer que la fraude électorale commence par la loi électorale. Pour Hippolyt Pul, Coordonateur du groupe de travail Justice et Paix en Afrique au Catholic Relief Services, il se pose avec acuité la nécessité de former et de sensibiliser nos fidèles sur le pourquoi et le comment voter. Il ne s’agit surtout pas ici de se limiter au déroulement du scrutin à proprement parler, mais de revisiter les contours d’une élection. Très enrichissantes ont été ici les questions et les réponses, en particulier la dernière expérience de l’église locale en RDC lors des présidentielles avec environ 9.000 observateurs sur Le terrain. L’assistance a été ensuite émerveillée par l’enseignement du père Julien Pénoukou, (Président de l’Aumônerie des Cadres Politiques et Administratifs du Bénin) à travers son exposé sur la formation et l’accompagnement des leaders politiques . Il est Parti du constat amer selon lequel le leader politique africain apparaît selon des études scientifiques menées comme un vil individu, assoiffé de pouvoir et de gain facile. 53 % des sondés pensent que les militants ne sont pas mobilisés autour d’un thème politique, et que la démocratie et l’alternance ne sont pas dans les parties ; mieux, très peu d’Hommes politiques ont le chœur au discours de l’église. Face à ce tableau très peu reluisant du monde politique l’orateur préconise entre autres, de faire connaître les exigences du christianisme, enraciner la foi du leader politique, faire comprendre que la croyance donne une force renouvelée à réussir sa mission, initialiser à la crainte de Dieu, et renforcer l’amour pour la patrie. Cette présentation combien édifiante sera suivie en début d’après-midi par la fameuse question de la participation des femmes au développement, sous le thème de l’ouverture à la vie et contribution de la femme au développement. Son auteur Mme Marie-Odile Attanasso, enseignante chercheur à l’UAC, a dans son analyse faire ressortir l’évolution de la femme dans la société depuis sa naissance avec à la clé le type de contribution au tissu économique selon la tranche d’âge. Elle a pour finir, démontré qu’une femme bien instruite et mieux imprégnée de la DSE peut mieux jouer son rôle d’agent économique.
Cet éclairage sur la situation de la femme dans la société a fait le lit de l’intervention de Monseigneur Matthew Hassan Kukah, évêque de Sokoto au Nigéria sur le développement intégral humain, la protection de la vie et la sécurité en Afrique. Il a dans ses grandes lignes expliqué les ennemis du développement humain intégral, avant d’aboutir à la conclusion selon laquelle la démocratie est une question nécessaire pour l’atteinte du développement et de la sécurité. A la question de savoir si la démocratie est le seul moyen d’atteindre le développement, lorsqu’on compare l’expérience africaine de la chose, comparativement à la Chine dont l’évolution économique ne cesse d’émerveiller plus d’un, il a soutenu (et ne sera pas seul) que l’Afrique ne saurait répéter l’expérience douloureuse de la négation de la démocratie. Son successeur, le frère Emmanuel Ntakarutimana du Burundi, s’essayera au même exercice, à travers le « Développement Humain Intégral et la Paix Durable en Afrique.. ». Ce dernier, après une typologie des guerres qui ravagent le continent, va proposer de renforcer le couple justice transitionnelle et développement, rechercher le développement par un retour à la base des valeurs notamment catholiques.
Le dernier jour des échanges a réuni les participants autour des préoccupations d’ordre environnemental, à travers 1- « le développement de l’Afrique et la protection de l’environnement, vers une maîtrise responsable sur la nature », et 2- « Gestion des ressources naturelles : biens communs et justice sociale ». La première défendue et développée par M Théophile Worou, a d’abord fait l’historique des conférences régionales et internationales sur la protection de l’environnement avant de présenter un état des lieux sur la désertification, l’eau douce, la diversité biologique les forêts et les zones urbaines. Il suggère pour garantir le développement et une meilleure qualité de vie, de grandes réformes politiques et de fortes politiques sociales. Le professeur Léopold Fakambi, chargé de la deuxième communication ira dans le même sens. En s’appuyant sur les encycliques Laborem exercens de 1981 et Centesimus annus de 1991, il s’est dit convaincu de la nécessité de travailler à une égalité d’accès aux ressources.