La détérioration croissante de l’environnement, la propagation rapide de l’épidémie de Covid-19 et l’aggravation de la crise énergétique et nutritionnelle à la suite de la guerre russe contre l’Ukraine ont posé de grands défis à l’humanité, étant donné qu’il s’agit de deux catégories de défis : celles de nature sécuritaire qui affectent la sécurité humaine et internationale et exacerbent les conflits engendrant ainsi des conséquences néfastes comme la fuite, l’asile et la migration forcée ,et d’autres liées aux droits de l’homme, qui ne limitent pas seulement les activités économiques, culturelles et éducatives, mais menacent certains droits fondamentaux tels que la santé , la vie, la paix et un environnement sain au point de les vider de leur contenu, ce qui rend inévitable la montée des taux de pauvreté et de famine.
Dans le contexte de ces crises, les discussions actuelles sur la manière de les contourner illustrent la pertinence permanente des questions fondamentales sur la relation entre sécurité, liberté et démocratie en ces temps de risques et d’incertitude, d’insécurité, et de pénurie.
À cet égard, il est noté que la légitimité de la performance de l’État et son rôle dans le maintien de l’équilibre entre liberté et sécurité ont été la question brûlante et controversée dans les discussions politiques, économiques et sanitaires. Ainsi, la liberté et le droit des citoyens à prendre des décisions concernant leur propre vie ont subi également des restrictions à un point où ils sont même fondamentalement remis en question.
Cette "fenêtre d’opportunité autoritaire" que les Etats ont utilisé et utilisent encore par le biais de suspendre les libertés en se justifiant qu’il s’agit bel et bien des menaces des conditions de vie des citoyens nous rappelle douloureusement la fragilité du Droit et le mirage de la liberté.
Depuis Nicholas de Machiavel et en passant par le juriste allemand Carl Schmitt et plus récemment Giorgio Agamben, ce phénomène constitutionnel paradoxal a stimulé la réflexion juridique, philosophique et sociologique sur l’état d’urgence, ou la politique des crises en général. Toutefois, ces idées et conceptions que seuls les pouvoirs exceptionnels possèdent la capacité d’endiguer efficacement les crises survenant au sein de l’Etat et de la société, deviennent directement pertinentes pour la Realpolitik actuelle.
Mais la principale leçon que l’on peut tirer de la gestion de ces crises réside dans la protection de l’être humain conformément aux exigences des normes internationales et nationales, qui est devenu un facteur de risque d’après Ulrich Beck, qui ne fait pas la différence entre la production sociale de richesses et la production sociale de risques. De plus, le système du nouveau ordre mondial a fait ses preuves en échouant à faire face aux crises environnementale, sanitaire, énergétique et alimentaire vu qu’il a omis de considérer l’être humain plus important que l’arme du pouvoir et la force des armes, de le placer au premier rang de ses priorités et d’en faire un moyen et une fin du développement selon la philosophie kantienne.
Par ailleurs, et partant du principe de crise qui a trait à l’effet multiplicateur d’autres crises, les crises ont modifié non seulement nos perceptions et nos pratiques, mais aussi la notion d’espace public et son rôle existentiellement lié aux droits et libertés, ce qui a alimenté et renforcé les doutes que nous nous éloignons progressivement des politiques démocratiques de crise vers des politiques de gestion de l’urgence, de la rareté, de l’insécurité et de l’incertitude qui sapent les fondements constitutionnels des pays démocratiques ou en voie de démocratie. Les espaces publics numériques se sont désormais substitués desespaces publics traditionnels soulignant les aspects de contrôle et de surveillance qui caractérisent toute société numérique et structurant ainsi l’émergence d’une opposition entre le centre et la périphérie.
Néanmoins, l’opinion publique, qu’il s’agisse d’une opinion publique orientée par la véracité et l’authenticité ou manipulée par la désinformation, demeure divisée et variable selon les statuts sociaux et les catégories d’âges en matière d’évaluation des risques et de la priorisation de la liberté ou de la sécurité entant qu’actions publiques. Se pose alors la double question de la façon dont cette opinion publique fabriquée par l’espace public devenu numérique et marquant par conséquent son « changement structurel » analysé dans la thèse de Juergen Habermas peut influencer les politiques publiques et dont la mise en oeuvre de ces actions publiques peuvent restreindre les droits fondamentaux et avoir des répercussions socioéconomiques sur les citoyens.
De plus, la gestion de ces crises pose un défi majeur pour les décideurs politiques qui consiste à ne pas compromettre les principes de l’Etat de Droit en assurant un équilibre entre la protection des droits à la santé et à la vie de la population d’une part et la garantie de leur sécurité et libertés d’autre part.
Ainsi, il apparaît clairement que l’ampleur de ces crises et la multiplicité de leurs répercussions sur l’activité humaine et l’action publique nécessitent l’adoption d’une approche pluridisciplinaire capable d’une analyse sobre et d’une compréhension profonde de la complexité de cette expérience. Or, la question de la sécurité et des libertés, qui reste au coeur des crises environnementale, sanitaire, énergétique et alimentaire, peut être appréhendée et analysée sous de multiples angles et dimensions, dont notamment :
• L’encadrement constitutionnel, juridique, philosophique, sociologiqueet religieux des crises (l’état d’urgence) ;
• L’interaction dialectique et dynamique entre la sécurité, la liberté, les citoyens et/ou l’espace numérique, l’opinion publique et la politique publique pendant la phase de la gestion des crises ;
• La position de l’acteur politico-institutionnel et de l’action publique en matière d’équilibre entre liberté et sécurité durant la gestion des crises ;
• Le rôle des institutions nationales des droits de l’homme dans la protection, la promotion et l’efficacité des droits de l’homme en temps de crises ;
• Les crises environnementale, sanitaire, énergétique et alimentaire comme facteur géopolitique et géostratégique susceptible de changer
les centres de pouvoir économique et politique.
Nisrine ZERDOUG
Professeur à la Faculté des Sciences Juridiques, Economiques et
Sociales de kelaa sraghna Université Cadi Ayyad, Marrakech
Directrice du Centre de Recherches Stratégiques sur la Sécurité et le
Terrorisme
Abdeljabbar ARRACH
Professeur à la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques
Université Hassan Premier , Settat
Président de la Fondation Fatima Alfihri